dimanche 21 février 2016

Retourner chez ses parents

Cet article est un peu (beaucoup) personnel, et vous n'êtes évidemment pas obligés de le lire si vous êtes là pour des revues sur un vernis ou une série télé. Mais quelques amis lisent mon blog, et de toute manière, j'avais besoin de faire un point écrit sur ma situation actuelle.

J'ai 24 ans et je vis chez ma mère.
Depuis le début du mois de Janvier, je suis dans l'expérimentation d'une situation loin d'être naturelle et qui entre pourtant de plus en plus dans la norme. Depuis que mon ex et moi nous sommes séparés d'un commun accord, il a fallu me rendre à l'évidence : les finances ne suivant pas, je devais rentrer chez ma mère. On appelle les jeunes adultes qui ne veulent pas quitter le foyer familial les Tanguy et les trentenaires et plus qui retournent vivre chez leurs parents des "enfants boomerang", bref c'est de plus en plus répandu : comme beaucoup de jeunes de mon âge, je reste chez eux le temps de rebondir.


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Mon nouveau chez-moi
Il faut savoir que j'ai rapidement été indépendante : j'emménageais dans mon studio étudiant deux jours seulement après mes 18 ans, et comme je trouvais que Toulouse était encore trop près du foyer familial, je n'ai pas hésité à mettre 350 km entre ma famille et moi en étudiant à Montpellier.
Tout au long de ces sept ans depuis que j'ai quitté le cocon familial, je me suis farouchement battue pour rester indépendante, tant bien que mal.

Pour moi, l'indépendance, c'est ce qu'il y a de plus important. 
Pour moi, rentrer chez ses parents, c'était un synonyme d'échec.

Probablement un truc qui vient en grande partie de mes parents. Mon père a usé et abusé de ce procédé tout au long de sa vie, utilisant la maison de mes grand-parents comme une résidence secondaire, piochant dans leurs finances jusqu'à ce qu'il trouve une nouvelle copine chez qui emménager. Ma mère, de son côté, nous a toujours élevées dans l'idée que nous partirions un jour, nous exhortant à suivre le chemin qu'on s'est choisi, sans la moindre préoccupation géographique : "Partez loin et soyez heureuses", c'est son crédo de maman.
Il y a quelques années, mon copain de l'époque, avec qui je vivais, a dû quitter son appartement, et on m'a donné le choix : je pouvais le suivre, ou je pouvais rentrer. J'étais très fière et je m'entendais très mal avec ma mère. Je pensais qu'il valait mieux subir mille morts (rien que ça) plutôt que de rentrer dans le Tarn & Garonne. Maintenant, je me rends compte que parfois, il faut juste mettre sa fierté de côté.



Bien sûr, je ne suis pas rentrée dans le T&G de gaieté de cœur : c'est petit, mal desservi (quand on est habitué à quatre lignes de tram et une ribambelle de lignes de bus qui passent toutes les 10 mn maximum, habituer dans une ville qui compte un ramassage de bus par heure, c'est un remake d'"une nuit en enfer"), et surtout : j'y ai grandi. Le fait de revenir dans ma ville natale est probablement le truc que je vis le plus mal dans la situation actuelle ; quand on adore les grandes villes et leur effervescence nocturne, habiter dans une ville qui décède littéralement passées les 19h, c'est compliqué. Montauban fait partie de ces villes qui ont changé tout en restant les mêmes. Les boutiques devant lesquelles je passais pour aller au collège ou au lycée ont fermé pour laisser place à d'autre commerces tout aussi malchanceux, le cinéma du centre-ville est devenu un Monoprix, la place des Parapluies a été rasée et s'appelle désormais la place des Fontaines, le mess militaire dont mon grand-père était le gérant quand j'étais petite est devenu une école d'esthétique. Mais je repasse devant le square où Guillaume m'a donné mon premier baiser, devant l'appartement où j'ai effectué un stage de décoration d'intérieur, ou devant le musée Ingres que je connais par cœur à force d'y traîner tous les mercredi après-midi. Je me sens à la fois étrangère et chez moi. Et quand j'arpente ces rues, je me sens plus adolescente qu'adulte.

À la maison, les choses sont faciles. Tout d'abord, "la maison" n'est pas celle dans laquelle j'ai grandi : mes parents ont dû la vendre et sont maintenant dans un un appartement en ville. Ce qui m'arrange à bien des niveaux. Non parce que si je trouve qu'une ville de 57.000 habitants est un bled, que dire de Saint-Etienne de Tulmont, trou paumé de 3000 habitants à 15mn de voiture, tristement connu comme étant le triangle des bermudes du réseau téléphonique. Quand j'étais ado, c'était le drame de ma vie : aller au bout du jardin pour pouvoir appeler un pote sans interférences ni coupure-surprise.

Outre les évidentes raisons de proximité avec la civilisation, je suis contente de ne pas être retournée dans la maison, parce que cette chambre, que je partageais avec ma sœur, reste ma chambre d'adolescente. J'aurais pu la redécorer à mon goût, j'en suis sûre, mais c'est difficile de se sentir adulte dans un environnement qui nous rappelle les heures les plus sombres de notre crise d'ado. La chambre dans laquelle je dors leur sert de bureau, de dressing et de chambre pour le bébé quand ma sœur a besoin de le leur confier quelques jours. Mais, même si ça mortifie ma mère de me faire dormir sur un matelas à même le sol sans meuble pour ranger mes effets personnels, moi je suis contente. Cette cohabitation n'est pas faite pour durer, le matelas est confortable, et le fait de n'avoir aucun endroit où ranger mes affaires me force à rester soigneuse. Ma mère est de nature calme, elle aime lire et depuis que je lui ai appris comment se servir d'internet, elle passe beaucoup de temps sur son ordinateur. Parfois on se balade en ville, pour le plaisir de faire quelque chose de notre journée, ou alors elle m'embarque dans des vide-greniers à la recherche de livres sympa. Mon beau-père, lui, travaille toute la journée, et quand il rentre, son réflexe est d'allumer la télé et de mettre le son très fort. Autant vous dire que si l'un des deux me pose plus de soucis que l'autre, c'est mon beau père. Je l'aime, le souci n'est pas là, mais le son trop fort, les séries télé... disons, particulières (coucou Docteur Quinn, Grey's Anatomy et cette sombre daube de H), me font rapidement mal à la tête. Je ne supporte pas l'odeur de la fumée des cigarettes qu'il fume, et le week-end, il regarde le film qu'il regardait déjà le w.e dernier sauf qu'il s'est endormi au milieu. Et il s'endort toujours au milieu.

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Mon royaume. Entre autres.
Mais ce sont des broutilles, que je supporte sans mot dire parce qu'il est chez lui, qu'il travaille toute la journée et qu'en rentrant, il pourrait bien jouer de la cornemuse pendant des heures que ce ne serait pas à moi de lui dire que ça me dérange. J'occupe mes soirées pratiquement toujours de la même manière : en regardant des séries dans ma chambre. Parfois je reste avec eux pour regarder quelque chose qui m'intéresse, mais je préfère rester seule.

Encore une fois le fait que je m'entende bien avec ma mère joue beaucoup sur la partie la plus délicate de la cohabitation : les règles de vie. Probablement parce qu'il y en a peu. C'est là que je me rends compte que leur vie a changé, elle aussi, depuis que je suis partie.
Quand j'étais plus jeune, un sombre crétin a qualifié ma mère de réincarnation d'Adolf Hitler. Sans la moustache. Et si je ne serais jamais allée jusque là, il faut avouer qu'elle était très stricte. On devait faire le ménage, nettoyer la maison, NE PAS LAISSER MOURIR LE FEU DANS LA CHEMINÉE (peine perdue), mettre la table, repasser et étendre le linge. Nos devoirs devaient être faits, la possibilité d'aller à une soirée chez des amis était rare et soumise à conditions : telle Cendrillon je me faisais ramener à minuit par mon beau-père en tentant tant bien que mal de cacher mon état d'ébriété, et il suffisait d'une contrariété ou d'une dispute pour que ma mère me punisse en révoquant l'invitation. Chaque note en dessous de dix était passible de punition, et j'ai moins souvent eu mon téléphone entre les mains que retenu en otage. Mes oreilles se rappellent encore de la fois où j'ai tenté de feinter en récupérant la carte SIM avant de le lui donner. Brrrr. Bref, une éducation sévère pour les normes laxistes qu'on voit partout à l'heure actuelle.

Mais c'était un contexte différent, un contexte d'éducation, et surtout, j'étais mineure. Ma mère me laisse dormir tant que je veux alors qu'avant, elle me sortait du lit sans ménagement passées les 10h en appelant honteusement ça une grasse matinée. L'inconsciente.
Je mets et débarrasse la table, je propose mon aide pour la vaisselle ou d'autres choses. Elle dit souvent non, mais parfois quand elle est fatiguée, elle me laisse faire. Quand je sors, je la préviens, et j'embarque le trousseau de clés. Si je rentre tard, il y a 80% de chances pour que ma mère soit encore en train de regarder la télé, mais elle ne m'attend pas, et je n'ai pas l'impression de l'embêter. Pour décompresser et retrouver l'ambiance des villes, je prends le train et je vais régulièrement passer quelques jours chez des amis, à Toulouse ou moins fréquemment à Montpellier. Mais je culpabilise toujours un peu quand je laisse ma mère seule. Je ne veux pas donner l'impression que je me crois à l'hôtel, alors j'essaie de passer un maximum de temps avec elle.

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Dovah n'a pas eu de mal à s'adapter à sa nouvelle maison.
Bien sûr, je regrette mon indépendance, ces choses cool qu'on peut faire quand on est chez soi sans demander l'accord de qui que ce soit (je pense notamment à danser en culotte sur une musique inavouable volume à fond, mais ça s'applique aussi aux soirées entre potes ou à ramener un garçon à la maison). Sans parler du fait que 98% de ma vie sociale est désormais à 350km de moi. Parfois j'ai les larmes aux yeux en pensant à toutes les soirées que je vais rater, ou que désormais, passer à l'improviste chez mes amis est totalement hors de propos. Si je veux zoner en ville, je le ferai seule, ici. Mais je comprends d'autant mieux à quel point ça doit être pesant pour nos parents d'avoir à endosser, 18 ans durant, le rôle du "méchant" qui punit et engueule. Je les vois avec des yeux d'adulte, et dieu merci, eux aussi me considèrent comme telle. Aucun souci d'infantilisation : je n'oublie pas que je suis leur fille, mais ils ne me le rappellent pas à la moindre occasion. Et ça c'est tellement appréciable.

Les repas se font à heure encore moins fixe que quand je vivais seule. Parfois j'aimerais bien me faire des trucs bien précis à manger, mais ma mère prend tout en charge. Et même si je perds en liberté, je gagne clairement en qualité. Terminées les vieilles pizzas surgelées, bonjour la pizza maison !
Ma mère, elle, est contente de m'avoir à la maison. Quand je l'ai appelée en pleurant pour lui dire que j'allais sûrement devoir revenir, elle m'a mollement répondu un "t'as pas d'autres choix?". Elle me connaît si bien. Après lui avoir affirmé que je ne pourrai pas vivre chez mes amis (j'aurais pu, mais j'ai assez d'expérience de la vie pour savoir que c'est une solution très court terme, et qu'au long terme j'aurais fini par exaspérer tout le monde), elle m'a assuré qu'elle m'accueillerait avec joie. J'ai la chance d'avoir une mère avec qui je m'entends à merveille, prête à me dispenser réconfort et conseils, et à me mettre face à moi-même quand je fais des conneries. Le fait d'avoir séjourné régulièrement chez elle ces deux dernières années a dû aider à nous voir toutes les deux comme les adultes que nous sommes, et non plus seulement comme le rapport de force d'une mère autoritaire et de sa fille tête en l'air et bordélique.

Si vous avez tout lu, merci de votre attention, c'est pas évident pour moi d'écrire tout ça. J'ai lu mon article à ma mère, pour qu'elle comprenne mon point de vue, et je ne lui ai pas fait l'effet d'être ingrate. J'espère que pour vous non plus. Et si vous avez déjà vécu l'expérience de retourner chez ses parents, n'hésitez pas à partager votre vécu, ça fait plaisir de savoir qu'on n'est pas seul.

8 commentaires:

  1. Il faudrait vraiment que je me remette à écrire, faire le point de cet manière a un côté soulageant de déversoir...
    Ça n'a pas dû être évident pour réussir à retourner cette idée d'échec. Étrangement, c'est une notion que j'ai quelque part aussi dans le coin de ma tête. Entremêlée avec tout un tas d'autres trucs en même temps.

    Cet article, ce n'est pas seulement sur ton retour à la maison mais aussi sur la relation que tu as avec ta mère, qui a évolué, avec laquelle tu es sereine maintenant et qui t'apporte du réconfort. (J'aimerai bien en arriver là avec la mienne aussi mais j'ai l'impression d'avoir tellement de travail à faire, ne serait-ce que sur moi-même que je n'en verrais jamais la lumière au bout du tunnel...)

    Tout ce que je peux te souhaiter, c'est que ce retour au cocon familial te ressource, recharge tes batteries et te permette de mieux reprendre ton envol, de mieux retrouver ce centre d'activité que tu as créé à Montpellier !

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  2. Je trouve que c'est un très bel article. (oui, oui^^) Je trouve que tu parle très bien de ta vie chez tes parents. J'ai eu les mêmes parents et c'est vrai que je les trouvais sévère (j'étais priée d'être debout à 8h les week end et les congés) au final, ils m'ont quand même appris à gérer une maison. C'est vrai qu'en étant ado, repasser, mettre la table etc... c'est pas drôle (surtout quand ta mère est ultra maniaque!) mais c'est naturel d'aider ses parents même si on le voit pas comme ça a ce moment là.

    Ta mère semble t'avoir donner une très bonne éducation. Avec de bonnes base. Et c'est quand tu es adulte que tu te rends compte de ses bienfais. (Par contre, j'ai bientôt 29 ans et on me fait encore chier avec les grasses mat...mais j'aime pas me lever avec les poules, merde, je me lève déjà à 6h30 la semaine, laissez moi dormir le week end!)

    La ou ça difère très fort c'est que je ne voudrais rentrer chez mes parents pour rien au monde. J'était déjà entre le marteau et l'enclume, à me casser le cul à faire le tampon/médiateur, repasser derrière ma mère pour planquer ses bêtises (ma mère est handicapée et trop fière pour reconnaitre qu'elle dégringole) c'est toujours le cas mais c'est plus supportable. Et mon père me considère comme une gamine immature qui ne sais rien gérer.

    Avoir une mère qui te considère comme une adulte c'est vraiment bien!

    Ton texte est très juste, tu as su trouver une équilibre et je trouve ça bien. Parfois il faut se poser pour savoir rebondir ^^
    Et espérant que tu rebondira vite ^^

    Des bisous (désolé pour mon racontage de life et mon pavé!)

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    1. Je suis contente que tu te sois confiée, c'est en aucun cas un racontage de life, plutôt un échange <3
      Ta mère est handicapée à quel niveau?
      Je mesure la chance que j'ai d'avoir une mère qui me considère comme une égale, c'est clair... mais je suis pas retournée là bas de gaieté de coeur.
      A 29 ans, ton père te voit toujours comme une gamine? C'est chaud... je pensais en plus que vivre loin de ses parents est la meilleure manière de leur montrer qu'on est devenus des adultes avec nos problèmes à gérer...
      Merci de m'avoir lu, et d'avoir réagi. <3 <3

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    2. L handicap de ma mère est un savant mélange de physique et psychique. Elle nettoie encore sa maison et tout mais elle est reconnue handicapée depuis qu'elle a été paralysée à droite suite à un accident de la route. Elle avait 18 ans (elle en a 55 là...) concrètement ça se gère bien, sauf quand je fais les courses avec, je dois éviter qu'elle ne tue qqun avec son caddie par inadvertance XD

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  3. Merci de m'avoir linké ton article, comme je te l'ai dit je le trouve vraiment très bien écrit. Je me retrouve dans certains points.

    Pour ma part je suis partie un peu moins rapidement de chez mes parents mais dès que j'en ai eu les moyens je l'ai fait, j'avais 20 ans. C'était infernal la vie avec eux, on ne se supportait plus du tout.

    Maintenant j'espère ne pas avoir à retourner vivre chez eux, déjà que quand je rentre le week-end et que je dors chez eux c'est parfois compliqué l'ambiance, leur couple étant aussi en situation complexe ça n'arrange pas les repas de famille. Donc de ce point-de-vue je comprends ce que tu expliques, de tout faire pour ne pas avoir à rentrer.

    Malgré tout, et malgré mes difficultés professionnelles, ils m'ont plusieurs fois répété que si j'avais besoin, leur porte restait ouverte. Et c'est sécurisant je trouve de savoir que je peux me tromper, me casser la figure, ils seront là et je ne serai pas à la rue. J'ai eu besoin qu'ils me disent ça aussi pour continuer à avancer.

    Les relations qu'on a aujourd'hui ? Ce sont parfois les enfants et moi l'adulte. Ou alors ils me considèrent comme l'arbitre de leur match. Les relations ne sont pas toujours paisibles. Je n'ai parfois pas envie de les voir ou de leur parler, mais ce sont mes parents et je culpabilise.

    Je te souhaite de pouvoir rebondir encore mieux après tout ça, des bisous :3

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  4. Ta maman m'a tout l'air d'être une chouette maman :) et vous avez la chance de vous avoir l'une l'autre j'ai l'impression. Ton article ne me donne pas du tout l'impression que tu es une ingrate, au contraire, on sent que tu es soulagée de pouvoir compter sur eux. C'est tellement violent d'être précaire et de devoir changer de vie à cause de soucis financiers. Je t'envoie plein d'amour, et si tu es encore en Haute Garonne cet été, fais signe!

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    1. Merci Léna <3
      Je serai toujours là cet été ! Je ne bougerai du secteur que vers Septembre/Octobre, jusque là, c'est la maison et la mère de famille aimante qui me traîne dans les vide-greniers à la recherche de livres :3

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  5. la maman aimante dit que ça la touche énormément et elle te fait des tas de bisous pleins d'amour... et comme elle l'a toujours dit : Maman copine, non ! Maman complice, oui ! Et il y a l'autre : Maman un jour, maman toujours

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